Médicaments et allaitement : les grandes lignes du raisonnement.
La question du risque éventuel du traitement maternel pour l’enfant allaité et l’appréciation de ce risque est souvent complexe. En effet, les données sur le passage des médicaments dans le lait et sur les conséquences chez les enfants allaités sont peu nombreuses, de qualité variable, et pas toujours applicables aux conditions usuelles d’utilisation des médicaments. Ceci nécessite donc souvent de faire des extrapolations et/ou des estimations, pour pouvoir trouver une solution thérapeutique satisfaisante (rapport bénéfice/risque favorable) à la fois pour la mère et pour l’enfant allaité. La démarche commence donc par une évaluation des risques en plusieurs étapes. |
Evaluation du risque pour l’enfant allaité
Cette évaluation est le fruit de la synthèse de plusieurs paramètres.
- La présence du médicament dans le lait
- La quantité de médicament retrouvée dans le lait dépend étroitement des posologies maternelles journalières. Plus celles-ci augmentent plus elle est élevée.
- Si la mère prend un traitement oral peu absorbé (ex : flubendazole-Fluvermal®) ou s’il s’agit d’une administration locale (collyres…), la quantité de médicament dans le lait sera limitée.
- Les caractéristiques pharmacologiques de chaque médicament peuvent intervenir. Par exemple, les grosses molécules, comme les héparines, l’insuline et l’interféron alpha ne passent pas dans le lait en raison de leur poids moléculaire élevé.
- Par ailleurs, plus la tétée est proche du pic de concentration du médicament dans le lait, plus la quantité ingérée augmente (ex : métronidazole-Flagyl®- en monodose).
- La quantité de médicament ingérée et le devenir du médicament chez l’enfant
- La quantité journalière de médicament reçue par l’enfant allaité est calculée à partir de la concentration mesurée dans le lait et d’un volume « standard » de lait ingéré par l’enfant de 150 ml/kg/j. Elle est exprimée en pourcentage de la dose maternelle rapportée au poids (en mg/kg), ou parfois en pourcentage de la dose néonatale ou pédiatrique, quand elle existe. Cette dose dite « relative » reçue par l’enfant est généralement considérée comme importante si elle est supérieure à 10% de la dose maternelle, faible si elle est inférieure à 10%, et très faible en deçà de 3%.
- L’enfant reçoit le médicament présent dans le lait par voie orale. S’il s’agit d’un médicament qui n’est pas absorbé par voie digestive (ex. aminosides), il n’y a pas lieu d’en attendre un effet.
- Si les capacités d’élimination de l’enfant sont diminuées (prématurité, pathologie hépatique ou rénale…) son exposition systémique peut augmenter (risque d’accumulation).
- Le dosage plasmatique du médicament chez les enfants allaités est le paramètre le plus pertinent pour évaluer leur risque. Ces concentrations plasmatiques peuvent être comparées à celles de la mère ou à celles des enfants traités directement (s’il existe de valeurs de référence ou des dosages maternels).
- D’autres éléments sont intégrés à l’évaluation des risques d’un traitement en cours d’allaitement :
- Existe-il des publications d’enfants allaités par des mères traitées, et présentent-ils (ou non) des effets attribués au traitement maternel ? A défaut de publications, un recul d’utilisation du médicament chez des femmes qui allaitent existe-t-il (ex : pristinamycine-Pyostacine®)?
- Le médicament est-il aussi utilisé en pédiatrie pour traiter les nouveau-nés et les nourrissons (ex : phloroglucinol-Spasfon®) ?
- Quel est le profil de toxicité et de tolérance de la molécule? Par exemple, la néphrotoxicité d’un médicament incitera à la prudence en cas de prématurité…
Types de risques et conduites à tenir
Au terme de l’analyse de toutes les données disponibles pour une molécule, 3 types de situations se dégagent.
- Un risque pour l’enfant allaité est documenté ou est susceptible de survenir
- Dans ce contexte, on fera le choix soit de changer de traitement, soit de ne pas allaiter.
- Il s’agit des situations par exemple où :
- un effet indésirable sévère est rapporté parmi des enfants allaités (ex : cyanose, TSH élevée, avec le lithium),
- les concentrations plasmatiques chez des enfants allaités sont préoccupantes (ex : les enfants allaités sous éthosuximide ont 75% des concentrations plasmatiques maternelles),
- le profil de tolérance du médicament expose l’enfant à un risque d’effets indésirables sévères (ex : chimiothérapie anti-cancéreuse),
- la quantité de médicament reçue par l’enfant est importante (supérieure à 10% de la dose maternelle). Ex : quantité jusqu’à 24% et 35% respectivement de la dose maternelle, avec bradycardie et cyanose, chez des enfants allaités sous aténolol (Ténormine®) ou acébutolol (Sectral®).
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- Un risque pour l’enfant allaité est peu probable
- En fonction de l’ensemble des données disponibles, l’utilisation sera qualifiée de « possible » ou d’ « envisageable » pendant l’allaitement pour les raisons suivantes :
- les concentrations plasmatiques chez les enfants allaités sont indétectables ou très faibles par rapport aux concentrations thérapeutiques (ex : sertraline – Zoloft®, paroxétine – Déroxat®),
- et/ou la quantité reçue par l’enfant via le lait est faible ou très faible (ex : zopiclone -Imovane®, zolpidem-Stilnox®),
- et/ou aucun effet indésirable sévère n’est retenu chez des enfants allaités (ex : ofloxacine-Oflocet®, ciprofloxacine-Ciflox®),
- et/ou le profil pharmacologique de la molécule n’est pas inquiétant et son utilisation est large en pédiatrie (ex : Malarone®).
- Cependant, dans certaines circonstances, on pourra être amené à reconsidérer la possibilité d’allaiter malgré des données a priori rassurantes :
- enfant prématuré (immaturité des capacités d’élimination),
- altération des fonctions hépatique ou rénale de l’enfant ou pathologie particulière (déficit en G6PD),
- administration de certains médicaments directement à l’enfant allaité (risque de surdosage ou d’interaction avec les médicaments présents dans le lait),
- posologie maternelle élevée,
- polythérapie maternelle,
- durée prolongée du traitement.
- En fonction de l’ensemble des données disponibles, l’utilisation sera qualifiée de « possible » ou d’ « envisageable » pendant l’allaitement pour les raisons suivantes :
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- L’évaluation du risque est difficile et la décision sera appréciée au cas par cas
- Pour un grand nombre de médicaments l’appréciation du risque est complexe (données insuffisantes, contradictoires….). Les décisions se prennent alors au cas par cas sur la base de nombreux critères individuels.
- Il peut s’agir de médicaments pour lesquels il y a autant de données en faveur que contre l’allaitement maternel (ex : lamotrigine-Lamictal®).
- Dans d’autres cas de figure, faute de données très solides, on pourra être amené à « ouvrir » ou à « fermer » l’allaitement avec le même médicament en fonction des circonstances individuelles maternelles et néonatales particulières et différentes d’un cas à l’autre (âge de l’enfant, nombre de tétées par jour, durée du traitement…).
En pratique
Les données et les conduites à tenir en cours d’allaitement pour les médicaments les plus couramment utilisés chez les femmes en âge d’avoir des enfants sont indiquées dans les fiches régulièrement mises à jour, disponibles sur le site internet du CRAT (www.lecrat.fr).
En pratique, la prise d’un traitement n’implique bien sûr pas que l’allaitement doive systématiquement être suspendu. Pour chaque situation, l’analyse de l’ensemble des données disponibles permet d’établir une conduite à tenir qui prend en compte des données générales et les conditions spécifiques de chaque couple mère-enfant. Dans la majorité des cas, des solutions satisfaisantes pour chacun peuvent ainsi être trouvées malgré des données disponibles souvent parcellaires. Il est ainsi important d’être informé d’un allaitement en cours et de tenir compte d’un éventuel projet d’allaitement lors d’une prescription, et d’avoir le réflexe de consulter au besoin des sources d’information pertinentes.
Notions clés – Pour qu’un médicament passe dans le lait maternel, il doit être présent dans le plasma de la mère qui allaite. Si le médicament pris par la mère n’est pas présent dans son plasma, on ne le retrouvera pas dans le lait maternel. – Quelle que soit la voie d’administration du médicament à la mère (orale, injectable…), l’enfant allaité ne reçoit le médicament présent dans le lait que par voie orale. – Le risque pour l’enfant allaité dépend de son niveau d’exposition systémique au médicament pris par sa mère. |
Les grands messages – Contrairement à une idée très répandue, un médicament utilisable en cours de grossesse n’est pas toujours sans risque au cours de l’allaitement. A l’inverse, certains médicaments à risque pendant la grossesse ne posent pas de problème pendant l’allaitement. – Pour un même médicament, l’allaitement sera possible pour certains enfants et pas d’autres. – Au sein d’une même classe (bêta-bloquants par exemple), l’’exposition de l’enfant via le lait peut être très variable d’un médicament à l’autre. – Si deux médicaments pris séparément peuvent être utilisés pendant l’allaitement, leur prise concomitante est possible chez une femme qui allaite. |