La rutine ou rutoside est un flavonoïde. Elle constitue, avec ses dérivés synthétiques comme la troxérutine (hydroxyéthylrutoside – HER), le principe actif de plusieurs médicaments veinotoniques indiqués dans l’insuffisance veinolymphatique et le traitement des signes fonctionnels liés à la crise hémorroïdaire (symptômes fréquents en cours de grossesse).
En 2006 la HAS a jugé le Service Médical Rendu (SMR) de la troxérutine insuffisant, ce qui a conduit à son déremboursement.
Une étude publiée en 2014 par une équipe hongroise s’est intéressée au risque de malformations congénitales après une exposition in utero à l’hydroxyethylrutoside : Pósfai E, Bánhidy F, Czeizel AE. Teratogenic effect of hydroxyethylrutoside, a flavonoid derivate drug—a population-based case-control study. J Matern Fetal Neonatal Med. 2014 Jul ;27(11):1093-8.
Quelle analyse peut-on faire de cet article et peut-on suivre les conclusions des auteurs ?
- Objectif et méthode de l’étude
- Il s’agit d’une étude cas-témoins à partir de deux registres hongrois entre 1980 et 1996. Son objectif principal est d’étudier l’association entre la prise orale d’hydroxyéthylrutoside (HER) chez la femme enceinte et la survenue de malformations congénitales.
Les cas (n=22 843) sont atteints de malformations. Ils sont issus du registre national hongrois des malformations congénitales (Hungarian Congenital Abnormality Registry – HCAR), et sont classés en 2 catégories : malformations isolées ou multiples (touchant plusieurs organes). Sont inclus les enfants nés vivants, les mort-nés, et les interruptions médicales de grossesse depuis 1989 (respectivement 97,1%, 1,1% et 1,8% des cas).
Les témoins (n=38 151) sont des enfants indemnes de malformation, sélectionnés à partir du registre national hongrois des naissances (National Birth Registry of the Central Statistical Office), appariés aux cas sur le sexe, la semaine de naissance, et le lieu de résidence des parents (2 témoins par cas, sauf entre 1985 et 1993 : 3 témoins par cas).Les données sur les expositions médicamenteuses ont été collectées à partir de plusieurs sources :- le carnet de suivi anténatal transmis par la patiente (rempli par un obstétricien ou une sage-femme au cours de la grossesse) ;
- un questionnaire rempli par la mère après la fin de la grossesse (5 mois de délai moyen) sur les complications, maladies et expositions médicamenteuses en cours de grossesse. Une collecte supplémentaire par une infirmière à domicile a été mise en place pour les non-répondantes.
L’exposition étudiée est celle à l’HER (Venoruton®), à la dose journalière de 900-1000mg. L’exposition au cours de la grossesse a été définie en mois de grossesse à partir du 1er jour de la date des dernières règles. L’âge maternel, la parité, le statut marital et professionnel ont été pris en compte dans les analyses.
- Il s’agit d’une étude cas-témoins à partir de deux registres hongrois entre 1980 et 1996. Son objectif principal est d’étudier l’association entre la prise orale d’hydroxyéthylrutoside (HER) chez la femme enceinte et la survenue de malformations congénitales.
- Résultats de l’étude cf. tableau
- Les données sur l’exposition à l’HER sont disponibles pour 96,3% des cas et 83,0% des témoins et ont été collectées par l’infirmière à domicile pour respectivement 11,9% et 1,7% d’entre eux.
Le traitement par HER est le plus souvent débuté au 5ème ou 6ème mois de grossesse, pour une durée moyenne de 4,2 mois pour les cas et 4,8 mois pour les témoins.
En comparaison avec les femmes non exposées, les femmes traitées par HER sont plus âgées, plus souvent multipares, ont plus de varices des membres inférieurs, et prennent plus souvent un traitement concomitant par Rutascorbin® (vitamine C + rutoside).
Après ajustement sur certains facteurs de confusion, en considérant une exposition au cours du 2ème et/ou 3ème mois de grossesse, les auteurs n’ont pas mis en évidence d’association significative entre l’exposition à l’HER et le taux global de malformation. Cependant, il y a 6 fois plus d’expositions à l’HER au 2 et/ou 3ème mois de grossesse parmi les enfants avec une malformation isolée de l’œil par rapport aux témoins (ORa=6,4, IC à 95 % [1,3-17,1]). Les 4 malformations isolées de l’œil des enfants exposés au 2ème et/ou 3ème mois de grossesse regroupent 3 colobomes et 1 microphtalmie (cf. tableau).Les auteurs ont ensuite procédé à une analyse secondaire non prévue dans les objectifs initiaux, dont la méthodologie est très confuse (cf. points de discussion ci-dessous), et à l’issue de laquelle ils décrivent un « syndrome polymalformatif HER » associant anotie/microtie, poly/syndactylie, anomalies caudales génitales et anales.
- Les données sur l’exposition à l’HER sont disponibles pour 96,3% des cas et 83,0% des témoins et ont été collectées par l’infirmière à domicile pour respectivement 11,9% et 1,7% d’entre eux.
- Conclusion des auteurs
- Les auteurs concluent qu’une exposition à l’HER durant le premier trimestre de la grossesse est associée à une probabilité augmentée de colobome et de syndrome polymalformatif (associant microtie/anotie, poly/syndactylie, malformations caudales génitales et anales), et recommandent d’éviter la prise orale d’HER au cours de cette période.
- Plusieurs points de discussion doivent amener à ne pas prendre en compte ces résultats :
- L’existence de biais de classement différentiel pour l’exposition à l’HER : dans les études cas-témoins, il est bien établi qu’il existe une forte probabilité de sur-déclaration de l’exposition a posteriori des mères des cas par rapport à celles des témoins (« recall bias »). De plus, ici, les données ont plus souvent été collectées par une infirmière à domicile pour les cas que pour les témoins, soulignant un effort plus important pour obtenir l’information chez les mères des cas et renforçant le biais de classement différentiel pour l’exposition à l’HER.
- L’absence de prise en compte dans les analyses multivariées de facteurs de risque connus de malformation : consommation de toxiques, médicaments tératogènes connus, infections virales, antécédents familiaux de malformation, pathologies maternelles (diabète..).
- L’absence de caractérisation de la gravité des malformations entre majeures et mineures.
- Le faible effectif de malformations isolées de l’œil (n=4).
- La multiplicité des tests (par sous-groupes de malformations) en partie corrigée par la méthode de Bonferroni.
- Concernant plus spécifiquement l’analyse secondaire et le « syndrome polymalformatif HER » :
- Aucune malformation trouvée dans le « syndrome » polymalformatif n’est associée à un traitement par HER dans la 1ère partie de l’analyse (notamment les malformations de l’oreille) ; à l’inverse, on ne retrouve pas d’atteinte de l’œil dans le « syndrome » décrit.
- Les auteurs comparent la répartition des types de malformations dans le cadre d’atteintes isolées à leur répartition dans le cadre d’atteintes multiples.
- L’analyse porte sur 39 enfants polymalformés exposés au cours de l’ensemble de la grossesse à l’HER, alors que seule une exposition au 1er trimestre peut être tératogène. Les auteurs n’ont pas effectué d’analyse sur les 15 enfants exposés au 1er trimestre.
- Il n’y a aucun détail sur les anomalies chez les cas ayant des malformations multiples.
- En conclusion
- cette étude ne permet pas d’établir un lien entre la prise de troxérutine au 1er trimestre de grossesse et un risque accru de colobome, ou d’autre malformation. Par ailleurs, l’utilisation de la troxérutine aux 2ème et 3ème trimestres est possible et largement répandue.
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