NOTRE HISTOIRE
Le Centre
Le Centre de référence sur les agents tératogènes (CRAT), fondé en 1975, fut le premier organisme national et international consacré spécifiquement aux médicaments chez la femme enceinte. Les innovations mises au point par ce centre pionnier unique en France constituent encore à ce jour une avancée considérable, et contribuent à une meilleure prise en charge des femmes enceintes et de leurs nouveau-nés, ainsi qu’à la surveillance et la détection d’alertes. Le CRAT se tourne également aujourd’hui vers les risques des médicaments en cours d’allaitement, sur la fertilité masculine et féminine, et l’impact des expositions paternelles sur la descendance. |
Nous ferons ici le point sur le contexte historique ayant conduit à la création du CRAT, avant de présenter les principales action innovantes que nous avons pu mettre au point et leur retombées tant en terme de bénéfice individuel, pour les patientes et patients, qu’en terme collectif et de santé publique.
Les informations présentées ici ont été précédemment publiées dans un article rédigé par le CRAT (1).
LE CONTEXTE HISTORIQUE
La dangerosité spectaculaire et inattendue du thalidomide, démontrée au début des années 1960, a mis en lumière, entre autres, le dénuement des professionnels de santé face à une menace qui pouvait potentiellement se généraliser à toute la pharmacopée de la femme en âge de procréer.
Les praticiens se sont naturellement tournés, et ce de façon accrue dès cette tragédie, vers des pédiatres et des généticiens pour les aider à évaluer les risques des expositions fortuites en début de grossesse.
Le Professeur Charles Roux, pédiatre et généticien, avait déjà mis sur pied dans son service au centre hospitalier universitaire Saint-Antoine, plusieurs départements complémentaires orientés sur les « troubles de la reproduction » au sens large : un département de génétique médicale et de cytogénétique prénatale et constitutionnelle, un département de médecine de la reproduction, un département de foetopathologie et enfin une unité de tératologie expérimentale. Dès le début des années 1970, face à l’accroissement des demandes venant de confrères inquiets par l’exposition de leurs patientes enceintes à certains agents, une structure dévolue au conseil en tératologie clinique a vu le jour, en complément des départements déjà existants.
C’est ainsi qu’en 1975, le Centre de référence sur les agents tératogènes (CRAT) a été créé, doté de missions et de modalités de fonctionnement tout à fait originaux, puisqu’il s’agissait du premier organisme national et international spécifiquement destiné à la problématique des agents exogènes, et en particulier des médicaments, chez la femme enceinte.
La mise en place de cette structure s’est prolongée en quelques dizaines d’années par de nombreuses actions innovantes dans le champ de l’évaluation des risques, de l’aide à la gestion de ces risques, de la stratégie thérapeutique, de la surveillance des effets des agents exogènes sur la reproduction au sens large (y incluant la fertilité et l’allaitement) et de l’information. Ces actions innovantes, convergeant toutes vers une meilleure connaissance des effets des substances sur la reproduction, sont déclinées ci-dessous.
LES INNOVATIONS MISES EN PLACE PAR LE CRAT
Une structure d'information et de conseil des professionnels de santé
Les problématiques courantes auxquelles les praticiens font face sont schématiquement de 3 types :
- une femme a reçu un traitement alors qu’elle ignorait qu’elle était enceinte.
Cette exposition fortuite expose-t-elle son futur enfant à un risque malformatif particulier ? Des mesures de diagnostic prénatal sont-elles nécessaires à entreprendre en raison de ces risques avérés ou potentiels ? La patiente peut elle raisonnablement envisager de poursuivre sa grossesse ? Il s’agit ici d’une situation prospective, c’est-à-dire que l’issue de la grossesse, qui est l’évènement principal, n’est pas connue au moment du signalement de l’exposition. Ce type de question constitue la majorité des interrogations au CRAT, et une des circonstances les plus délicates puisque l’avenir de la grossesse peut être reconsidéré à la lumière des risques ;
- une deuxième situation fréquente en pratique : une femme traitée pour une pathologie chronique souhaite être enceinte ou une femme enceinte est malade et son état requiert un traitement.
Faut-il modifier ou arrêter le traitement ? Quel est celui qui est le mieux adapté à son état et au terme de sa grossesse tout en préservant son foetus ? Il s’agit de situations préventives, l’exposition médicamenteuse est préalable à la grossesse ou à son issue. L’exercice consiste ici à établir la stratégie thérapeutique la plus adaptée à chaque cas particulier, incluant à la fois les risques embryonnaires ou foetaux, mais aussi les bénéfices maternels des traitements en cours ou à entreprendre, faute de quoi une perte de chances pour la mère est possible avec ses conséquences materno-foetales propres. Cette notion de bénéfice maternel représente un paramètre dont le poids est particulièrement important, et doit être intégré au schéma stratégique général au même titre que les risques pour le foetus ;
- Enfin une troisième situation se présente en pratique courante. Une malformation (ou une pathologie foetale ou néonatale non malformative) est dépistée en prénatal ou observée après la naissance : existe-t-il un lien entre cet évènement et l’exposition de la mère en cours de grossesse ?
L’évènement principal (effet foetal ou néonatal) est déjà connu au moment du signalement de l’exposition. Il s’agit d’une situation rétrospective. Ces situations nécessitent une description précise du tableau présenté par le foetus ou l’enfant, l’examen des autres causes possibles de survenue des pathologies foetales ou néonatales observées (en particulier génétiques) et des précisions indispensables sur la nature de l’exposition, sa durée et son motif.
La collection de ces dossiers, appuyée sur une analyse soigneuse et documentée, permet la détection d’alertes et constitue un des dispositifs d’identification des agents embryotoxiques dans l’espèce humaine.
La première action innovante a donc consisté à créer, dès 1975, un service destiné au corps médical, accessible par téléphone, courrier, fax (puis messagerie électronique), afin d’aider tout praticien à répondre à ces trois types de questions pointues et épineuses, et à qualifier méthodologiquement ces différents types d’approche (préventive, prospective et rétrospective) afin de gérer les informations que l’interprétation de ces dossiers rapportés au CRAT autorise.
Le succès de cette initiative, locale à ses origines, a rapidement dépassé le cadre du centre hospitalier universitaire Saint-Antoine pour s’étendre à tout le territoire en quelques années.
Toutes les disciplines impliquées dans la prise en charge des femmes enceintes ont peu à peu eu recours aux services du CRAT (obstétriciens, médecins généralistes, pharmaciens, sages-femmes, médecins spécialistes…), sans restriction de lieu ou de type d’exercice. Au total l’expérience s’élève actuellement à près de 2500 questions par an.
Une méthodologie de travail novatrice
Initialement l’objectif du service fut double, avec en premier lieu, conseiller et informer les personnes contactant le service (pour une patiente ou une question plus générale). Il s’agit à cette étape le plus souvent d’évaluer les risques courus à l’occasion d’une exposition fortuite à un traitement ou d’établir une stratégie thérapeutique chez une femme en cours de grossesse ;
Le deuxième objectif fixé initialement a été celui de combler les lacunes importantes des connaissances cliniques, en organisant un suivi systématique de toute question posée, afin d’étoffer l’expérience acquise en recueillant les issues des grossesses pour lesquelles une question a été soumise précédemment et de restituer ultérieurement le fruit de cette expérience à l’occasion de futures questions similaires. Cette démarche de suivi systématique des dossiers prospectifs fut une avancée substantielle dans la connaissance des effets des agents exogènes sur le produit de conception et tout à fait originale et novatrice. Elle a ouvert la voie à de nombreuses initiatives similaires par la suite.
Pour ce faire, un protocole de suivi a été mis en place dès 1975. Des formulaires spécifiques à l’exposition de patientes enceintes, et des formulaires destinés au déroulement et à l’issue de chacune d’entre elles ont été créés. Les éléments indispensables à l’évaluation des risques comportent l’exhaustivité des expositions ainsi que des détails indispensables : dates précises d’exposition, posologies, durée, indication, antécédents personnels de chaque patiente et familiaux (en particulier pour l’aspect malformatif et génétique), et autres considérants usuels des dossiers médicaux. Pour l’issue des grossesses, une synthèse des items habituellement recueillis dans les dossiers d’obstétrique et de pédiatrie de maternité ont été réunis sur des formulaires.
Ces formulaires sont adressés aux praticiens ayant posé initialement la question au CRAT lors de l’évaluation des risques en début de grossesse, et sont adressés (ainsi que d’éventuelles relances) à intervalles précis à partir de la date d’accouchement des patientes.
Cette activité de suivi prospectif a permis depuis 1975 la collecte en base de données de près de 67 000 dossiers de femmes enceintes suivies prospectivement après une exposition en cours de grossesse. Chaque patiente étant exposée en moyenne à 2,5 médicament, le nombre d’expositions s’élève à plus de 167 000. Les requêtes pluri-quotidiennes sur cette base de données interne permettent de restituer l’expérience du CRAT, auprès des correspondants ou des institutions, pour des expositions à propos desquelles la littérature fait défaut. Une des grandes forces de cette innovation méthodologique réside dans le suivi de toutes les grossesses exposées et entreprend le recueil d’issues de grossesses normales, et pas seulement les issues pathologiques, ce qui fut une originalité d’une grande force, permettant outre la détection de signaux (malformatifs ou foetotoxiques) éventuels, la collecte de données « rassurantes ».
Une transversalité de la problématique et une multidisciplinarité
Pour ce faire, une équipe multidisciplinaire a progressivement été créée, regroupant des domaines aussi variés que la pédiatrie, la biologie de la reproduction et du développement, la foetopathologie, la génétique, l’épidémiologie, la pharmacologie, et la toxicologie.
Cette multidisciplinarité est la deuxième originalité du CRAT. En effet la nature très transversale des questions posées a justifié d’entrée de jeu la mise en place d’une équipe aux savoirs complémentaires afin de balayer avec compétence l’étendue d’une problématique difficile et pour laquelle aucune formation spécifique n’est disponible.
Création d'une méthodologie d'évaluation des risques
Afin d’entreprendre une évaluation rigoureuse des niveaux de risque des traitements utilisés chez les femmes enceintes, une méthodologie a été générée par le CRAT. Cette méthodologie repose sur l’attribution d’un niveau de risque pour chaque molécule, basé sur le croisement de données expérimentales et de données cliniques en cours de grossesse, et conjugué à des paramètres susceptibles d’infléchir ce niveau de risque : notion de bénéfice thérapeutique (intérêt et place de chaque substance dans la stratégie thérapeutique) et de pharmacocinétique (passage systémique présent ou absent).
Pour ce faire, une analyse soigneuse à la fois des méthodologies et des résultats de chaque source d’information (articles ou données non publiées) est entreprise. L’originalité du CRAT à cet égard a résidé dans la mise au point dès la fin des années 1980, d’une grille d’évaluation intégrant tous les résultats disponibles (expérimentaux et cliniques) en fonction de leur pertinence et de leur validité, afin de standardiser l’évaluation des substances et de leur attribuer un niveau de risque de façon homogène. À l’issue de cette analyse, une hiérarchisation des risques des médicaments entre eux, et donc parallèlement les possibilités thérapeutiques au sein d’une classe de pharmaco-thérapeutique en cours de grossesse, ont été établies, permettant de restituer aux cliniciens à la fois une évaluation rigoureuse des risques de chaque substance lorsqu’une grossesse a été exposée par inadvertance et la place de chaque substance dans un schéma thérapeutique lorsqu’une prescription doit être entreprise chez une femme enceinte malade. Cette méthodologie sera ultérieurement reprise par les instances institutionnelles , comme nous le verrons ci-dessous.
Succinctement, les bases méthodologiques de cette grille qui est essentiellement orientée sur le versant tératogène des substances, reposent sur une répartition qualitative et quantitative des données expérimentales et cliniques tout à fait innovante. Les résultats expérimentaux étudiant le potentiel tératogène des molécules (malformations induites pendant l’organogenèse) sont répartis en trois types : i) effets positifs (action tératogène de la substance), ii) effets négatifs (à condition que les études soient valides) et iii) résultats non conclusifs.
Les données humaines considérées pour l’analyse sont séparées en données prospectives et rétrospectives (cf. supra) et incluses dans l’analyse à la lumière de critères de qualité méthodologiques. Pour l’analyse du profil qualitatif d’un effet malformatif (description des malformations induites, détermination d’une syndromologie) tous les résultats cliniques de bonne qualité sont pris en compte, qu’ils soient issus d’études épidémiologiques ou de simples notifications ponctuelles. En revanche, pour le calcul d’incidence d’un éventuel effet tératogène, seules les données prospectives exploitables sont retenues. Il s’agit pour l’essentiel de grossesses exposées (par mégarde le plus souvent) à un médicament, et pour lesquelles une issue de grossesse est collectée après l’accouchement.
À partir de ces données, trois catégories de données cliniques sont déterminées en fonction des effectifs de patientes analysables : i) moins de 300 patientes exposées à la substance étudiée au 1er trimestre et suivies prospectivement (l’issue de leur grossesse n’est pas encore connue au moment de l’inclusion dans le suivi), ii) entre 300 et 1 000 patientes exposées dans les mêmes conditions et iii)plus de 1 000 patientes. Une comparaison entre l’issue des grossesses exposées à un traitement particulier par rapport à un groupe de comparaison donné (femmes enceintes non exposées ou exposées à d’autres traitements), permet en fonction de leur nombre d’approcher un niveau de risque plus ou moins solide dans l’espèce humaine. Ces résultats, croisés avec les résultats expérimentaux, déterminent donc pour chaque substance un niveau de risque global et une conduite à tenir qui en découle en cours de grossesse.
La méthodologie d’évaluation dont s’est dotée le CRAT a permis de nombreuses avancées dans le champ de l’interprétation des risques en cours de grossesse. Pour n’en citer que quelques-unes, en premier lieu, elle permet de déterminer une stratégie en cas d’exposition en début de grossesse à une substance pour laquelle, faute de recul clinique, seules les données chez l’animal sont disponibles pour conseiller une patiente. Ceci représente une avancée considérable dans l’évaluation et la gestion des risques, partant d’une situation ancienne où rares étaient ceux qui se risquaient à franchir le cap de l’extrapolation des résultats expérimentaux à l’Homme. D’autre part, cette méthodologie permet de déterminer des situations où l’absence d’effet chez l’Homme comparé à des populations de référence et en fonction de l’importance des effectifs, ouvre l’utilisation de certains médicaments aux femmes enceintes. Cette ouverture dépend étroitement de la solidité du niveau de preuve, et le seuil à partir duquel ce niveau est suffisant a été déterminé par le CRAT, puis repris par les institutions nationales et européennes. Enfin, cette méthodologie tout à fait originale et pragmatique intègre la notion fondamentale de bénéfice maternel et permet de hiérarchiser les molécules les unes par rapport aux autres au sein d’une classe pharmaco-thérapeutique, ce qui oriente à bon escient le prescripteur au moment de la décision thérapeutique.
Création du groupe de travail « reproduction, grossesse et allaitement »
Fort d’une expérience bien ancrée sur le terrain et du constat des difficultés des cliniciens face à l’évaluation des risques ou l’élaboration de stratégies thérapeutiques à partir des résumés des caractéristiques des produits (RCP), le CRAT a proposé à l’Agence Nationale des Médicaments et des produits de santé, au milieu des années 1990, de mettre en place un groupe de travail spécifiquement dédié à la réévaluation des libellés des paragraphes « grossesse » des autorisations de mise sur le marché (AMM). Cette initiative a été acceptée par l’administration qui a confié au CRAT le soin de mettre en place les objectifs, la composition, la méthodologie de travail et la présidence de ce groupe particulièrement innovant, puisqu’il s’agit encore à ce jour de l’unique groupe spécialisé sur cette thématique existant au sein des autorités d’enregistrement des médicaments au plan international.
Ce groupe pluridisciplinaire, officiellement créé en 1996, a couvert l’essentiel de la thérapeutique utilisée chez la femme jeune, afin d’en évaluer substance par substance les répercussions sur la fertilité, la grossesse et l’allaitement. Un volant de fertilité masculine a également été adjoint aux objectifs initiaux. Une méthode d’évaluation des risques dérivée des outils déjà utilisés au CRAT (cf. ci-dessus) a été transférée à ce groupe de travail, et une grille de hiérarchisation des molécules par niveaux de risque assortis d’un libellé standardisé a été élaborée.
Cette grille, utilisée en France depuis 1996, est dorénavant intégrée depuis 2005 au niveau européen au schéma d’évaluation et de libellé de la rubrique 4.6. « fertilité, grossesse et allaitement » des RCP (3).
Le CRAT a fourni un effort considérable à la mise en place, à l’orientation et à la réalisation des travaux de ce groupe, depuis sa création et encore à ce jour, attestant de son souci de transmettre aux autorités une vision globale enrichie de l’expérience de terrain, et un support scientifique constant.
Création d'un site internet
Face à une demande croissante des professionnels de santé sur un domaine aussi spécifique et délicat que la thérapeutique chez la femme enceinte, une réponse favorable a été accordée au projet du CRAT « Médicaments et grossesse : développement sur Internet d’une base de données destinée aux professionnels de santé » dans le cadre d’un appel à projets du fonds de promotion de l’information médicale et médico-économique (FOPIM) en 2004.
Ce site, exclusivement financé par des fonds publics, et accessible à tous (professionnels de santé et grand public) en accès libre et gratuit, est avant tout une aide à la pratique clinique pour faire face aux risques d’expositions diverses en cours de grossesse et/ou de choisir à l’intérieur d’une classe thérapeutique la molécule la mieux adaptée à la prescription chez une femme enceinte.
Le projet initial ne concernait que les pathologies courantes de la grossesse prises en charge par les médecins généralistes. Cette étape franchie, d’autres thématiques ont étoffé le site : les vaccins, les dépendances et leur traitement (alcool, cannabis, héroïne, tabac, substituts nicotiniques…), les pathologies (comment traiter la toux, la dépression, le glaucome…en cours de grossesse), l’imagerie médicale (radiations ionisantes, imagerie par résonnance magnétique [IRM]…) et les expositions paternelles (chimiothérapies, immunosuppresseurs…). De plus, des informations sur l’allaitement ont progressivement été ajoutées aux « fiches » déjà réalisées pour la grossesse.
Ces fiches sont toutes rédigées, relues et validées par l’équipe médicale du CRAT et si nécessaire des experts extérieurs. Toutes les fiches comportent une date de mise à jour. À intervalles réguliers, ou en fonction de l’évolution des publications, le contenu de chaque fiche est révisé et amendé en fonction de l’avancée des connaissances. À ce jour, le CRAT a mis en ligne plus de 1100 fiches de substances différentes, interrogeables par dénomination commune internationale (DCI) ou par nom de spécialité ou par classe pharmacothérapeutique. Actuellement, on recense près de 25000 connections par jour sur notre site.
L’information pour chaque exposition est présentée sous forme d’une page répondant à un contexte précis (grossesse, allaitement, exposition paternelle). Les pages sont toutes structurées de la même façon :
- Titre : nom de l’exposition, ou nom de la molécule (DCI) et celui de quelques spécialités correspondantes s’il s’agit des médicaments.
- Introduction : quelques caractéristiques de l’exposition utiles à l’élaboration et à la compréhension de la conduite à tenir proposée par le CRAT
- Etat des connaissances : synthèse des données expérimentales et/ou cliniques disponibles sur les effets éventuels de l’exposition sur la fertilité féminine ou masculine, la grossesse (risque malformatif, fœtal, néonatal …) ou l’enfant allaité.
- En pratique : conduites à tenir dans les situations les plus courantes.
- Pour en savoir plus : renvoi vers des liens utiles (site du CRAT ou extérieurs).
Il s’agit au plan international du premier site internet de cette nature, et il est toujours unique dans ses objectifs, sa méthodologie et son ergonomie.
Création d'un réseau européen de centres d'information sur la tératologie (ENTIS)
Considérant que la mutualisation de l’expérience d’équipes européennes travaillant sur la thématique des risques en cours de grossesse permettrait des échanges et des travaux communs, un réseau de centres européens a été créé en 1990. Il s’agit de l’European network of teratology information services (ENTIS) (4). Le CRAT est l’un des membres fondateurs de ce réseau, comme d’autres structures européennes déjà investies à cette date dans cette approche disciplinaire particulière.
Ce réseau s’est élargi depuis sa mise en place à de nombreuses nouvelles structures et produit régulièrement le fruit de travaux collaboratifs de très bon niveau.
IMPACT ET RETOMBEES DES ACTIONS DU CRAT
Les nombreuses actions innovantes successivement mises en place par le CRAT ont une grande cohérence et ont permis à cette thématique de prendre l’ampleur qui lui était due au sein de diverses disciplines, de sensibiliser des acteurs nombreux et différents, et de tracer des axes dont les retombées, que ce soit à l’échelon individuel, comme à l’échelon collectif, sont larges et complémentaires. Nous en citerons quelques-unes.
Le premier impact notable des travaux du CRAT consiste en un changement de paradigme fondamental sur la grossesse et le médicament, qui ne donne plus uniquement la part prépondérante aux risques des médicaments en cours de grossesse, mais au moins autant à leurs bénéfices et à leur corollaire, à savoir les risques liés à une perte de chances pour une femme enceinte dont la modification drastique et inappropriée (voire l’absence) d’un traitement en raison de craintes pour le foetus, précipitent la mère (et le foetus) dans des situations particulièrement sévères. Il s’agit donc d’une reconsidération complète de l’évaluation de la balance bénéfice/risque.
D’autre part, les services rendus par le CRAT auprès des praticiens ont un impact direct en termes de meilleure connaissance globale de la thérapeutique chez la femme enceinte et de la gestion des risques potentiels, débouchant sur la mise en place de mesures de prévention (consultations préconceptionnelles, adaptation des traitements…), d’un meilleur usage du médicament pendant la grossesse et l’allaitement (choix thérapeutiques, adaptations posologiques, surveillances particulières…), et d’une amélioration de la prise en charge des patientes exposées et de leurs nouveau-nés.
Par ailleurs, tous les moyens d’information et de diffusion de l’information déployés par le CRAT permettent d’approcher les intervenants de la maternité au plus près de leur pratique et dans les conditions les plus adaptées à leur type d’exercice. Demandes de conseils individuels et accès au site internet du CRAT, contribuent à porter rapidement des informations actualisées et de qualité dans les consultations. Pour prolonger cet esprit de diffusion des connaissances, le CRAT s’est engagé également de longue date à partager le fruit de son expérience dans le cadre d’enseignements, tant en formation initiale que continue (dans près de 30 cursus différents en médecine, pharmacie et maïeutique, ou encore dans que près de 70 diplômes universitaires [DU] et diplômes inter-universitaires [DIU] et autres types d’enseignements). Ceci concourt à apporter à des professionnels en cours de formation ou déjà en exercice des bases et un complément d’enseignement précieux dans des filières de gynéco-obstétrique, de pharmacologie, de pharmaco-épidémiologie, de thérapeutique et dans différentes spécialités (rhumatologie, pneumoallergologie, dermatologie, psychiatrie, neurologie, médecine interne, gastro-entérologie..).
De plus, grâce aux méthodologies mises en place et notamment au retour d’expérience du suivi de grossesses exposées depuis 1975, le CRAT contribue à l’avancement des connaissances sur les anomalies du développement en lien avec des expositions exogènes en cours de grossesse. Les retombées à l’échelon individuel pour les praticiens qui sollicitent le service sont immédiates par l’intégration quasi systématique de cette expérience à la réponse qui leur est dispensée.
À l’échelon collectif, l’impact de ces méthodes nouvelles est double. Dans le cadre d’une participation à la surveillance des médicaments, le CRAT permet de faire remonter auprès des autorités de tutelle (ANSM en particulier), sous la forme détection de signaux ou dans un rôle de veille, des informations permettant à celle-ci de mettre en oeuvre des actions adaptées (modification des RCP, enquêtes, lettres d’information…). Le deuxième volet de la contribution des travaux du CRAT à l’avancement des connaissances au plan collectif repose sur des publications scientifiques (plus de 200) et des communications orales à l’échelon national ou international (plus de 300), dont l’impact à la fois didactique et scientifique atteint une communauté scientifique large et très diversifiée.
Parallèlement, les retombées des actions entreprises par le CRAT de longue date, ont conduit de nombreuses institutions nationales et internationales à solliciter son appui scientifique et son expertise dans le cadre de l’élaboration de recommandations, de stratégies, de guidelines, d’évaluations et de communication des risques. Pour ne citer que les plus récentes : Haute Autorité de Santé (HAS) (acide valproïque), Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation de l’environnement et du travail (Anses) [plan national nutrition santé, groupe de travail sur les perturbateurs endocriniens] ; Agence de biomédecine (ABM) et Institut national du cancer (INCa) [rapport conjoint sur les conséquences des traitements des cancers et la préservation de la fertilité] ; ABM (thrombose artérielles et veineuses dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation [AMP]) : prévention
et prise en charge) ; Société de médecine des voyages et Société française de parasitologie, recommandations de bonne pratique sur « protection personnelle antivectorielle, protection contre les insectes piqueurs et les tiques » ; European medicines agency (EMA) [guideline on risk assessment of medicinal products on human reproduction and lactation: from data to labelling, Safety workingParty,CHMP…] ;Organisation mondiale de la santé(OMS
[traitement du paludisme en cours de grossesse, toxicité des dérivés de l’artémisinine, drugs in pregnancy registry in Africa…]).
Enfin, des collaborations avec des partenaires impliqués dans des réflexions, des recommandations ou des études sur certaines thérapeutiques en cours de grossesse ont été tissées : Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), Institut de recherche et de sécurité (INRS), Institut de recherche pour le développement (IRD), Drugs for neglected diseases initiative (DNDi), certains centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) pour n’en citer que quelques-uns.
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
Le CRAT a été mis en place face au désastre du thalidomide et aux difficultés rencontrées par les professionnels de santé pour trouver conseils et informations adaptés à des situations si délicates dans leur exercice quotidien. Au fur et à mesure, ce centre pionnier a progressivement étoffé l’activité initiale d’information par des orientations complémentaires, circonscrivant la problématique du médicament chez la femme enceinte à l’échelon tant individuel (cas cliniques) que collectif (expertises institutionnelles).
L’information et le conseil du corps médical, la méthodologie d’évaluation des risques en cours de grossesse, la mise au point de stratégies thérapeutiques, le recueil d’information clinique par le suivi des questions posées et son rôle dans la surveillance des médicaments, l’amélioration des RCP par la mise en place d’un groupe de travail institutionnel, la création d’un site internet ouvert à tous, unique dans ses objectifs et l’ampleur des domaines traités, et les collaborations et travaux divers et nombreux, sont les multiples facettes d’une démarche innovante et cohérente largement attachée à un meilleur usage des traitements et une meilleure prise en charge des femmes enceintes malades et de leurs futurs enfants.
Au fur et à mesure que le paysage a été défriché des perspectives répondant à des questionnements nouveaux, et qui se placent dans une certaine logique par rapport à la grossesse, sont apparues. Il s’agit des inquiétudes relatives à l’impact des traitements sur la fertilité masculine et féminine (chimiothérapies, radiothérapie, autres types de traitements). Dans ce cadre, en raison de ses compétences et de son intérêt pour le sujet, le CRAT a intégré le Groupe de recherche et d’étude sur la cryoconservation de l’ovaire et du testicule (GRECOT). Par ailleurs, sans forcément qu’il soit question de fertilité, le retentissement des traitements paternels sur la qualité de la descendance représente une perspective que le CRAT poursuit de façon tout à fait originale, reprenant la suite de travaux antérieurs effectués dans le service en médecine de la reproduction. Enfin, les demandes d’information et de conduite à tenir en cas d’allaitement maternel sont particulièrement fréquentes et souvent urgentes. Le volet allaitement qui a déjà intégré les informations dispensées sur le site internet, se poursuit de façon soutenue, de façon à aider au mieux les multiples intervenants impliqués dans cette partie de la vie post-natale. La contribution très innovante du CRAT à ce domaine spécifique est récompensée par les nombreuses initiatives heureuses qui lui ont emboité le pas pour réaliser des structures proches à l’échelon européen (ENTIS) et Nord-américain (OTIS), ou orientées sur des aspects plus spécifiques expérimentaux, pharmacologiques ou épidémiologiques.
- Elefant E, Vauzelle C, Beghin D. Le Centre de référence sur les agents tératogènes (CRAT): une structure pionnière. Therapies, 2014, vol. 69, no 1, p. 39-45.
- Elefant E, Boyer M, Boyer P, et al. Teratogenic agent information centre: fifteen years of counseling and pregnancy follow-up. Teratology 1992; 46: 35-44
- https://www.ema.europa.eu/en/documents/regulatory-procedural-guideline/guideline-exposure-medicinal-products-during-pregnancy-need-post-authorisation-data_en.pdf
- https://www.entis-org.eu/